L'arrivée en Argentine de Jacques de Larminat

Miguel de Larminat a écrit un livre sur la vie de son Grand-Père Jacques de Larminat.

Parmi les six fils de Jean qui s'établiront - ou tenteront successivement de s'établir - en Argentine, Jacques sera le premier à poser le pied sur le sol argentin, en 1909 à l'âge de 19 ans. Débute alors cette saga familiale qui devait par la suite marquer tant de membres de notre famille.

Un pionero de la PatagoniaComme le remarque Miguel, l'audace du jeune Jacques est remarquable ; on a du mal aujourd'hui à imaginer un jeune homme " de bonne famille " osant entreprendre ce genre d'aventure seul, sans couverture, assurance ni sécurité sociale, avec les moyens de communication et de transport extrêmement précaires qui existaient à l'époque dans ce pays.

Miguel a eu la gentillesse de nous autoriser à reproduire un extrait de son livre (sorti en septembre 2004), extrait relatant les débuts de Jacques en Argentine.

Le grand voyage

Après de longues conversations avec son père et ses frères, le 6 février 1909, en plein hiver boréal, Jacques entreprend le grand voyage entre Bordeaux et Buenos Aires. Il s'embarque sur le paquebot " Cordillère " des Messageries Maritimes, l'une des deux compagnies qui assurent alors le service entre les ports français et l'Amérique du Sud.

A cette époque, les nombreux français qui partaient pour l'Amérique du Sud - principalement des basques et des béarnais - choisissaient le plus souvent des bateaux français : cela leur permettait de reculer le moment de quitter le monde français.

La traversée fut une merveilleuse aventure pour ce jeune étudiant de 19 ans. Jacques commence par patienter à bord pendant une vingtaine d'heures qu'une tempête de neige survenue au moment du départ permette de lever l'ancre. Le navire quitte enfin le quai et bientôt, des escales ensoleillées viennent rythmer l'agréable vie sur le navire : Lisbonne, Dakar, Pernambouc, Bahia, Río de Janeiro et Montevideo. Le voyage dure vingt-huit jours, et l'on peut imaginer la vie à bord comme celle que décrivent les argentins qui rentraient de villégiature à Biarritz à cette époque : " La compagnie s'occupe bien de ses passagers et organise des concerts, des fêtes pour commémorer les différentes dates patriotiques des émigrés du bord, des mascarades au passage de la Ligne, et surtout des bals : il y avait des bals pendant toute la traversée ".

Durant la traversée et pendant les escales, Jacques regarde tout ce qu'il voit avec un oeil passionné : les requins à Pernambouc, qu'il dessine, les poupées de Bahia, la baie de Rio, les arbres inconnus de ces terres d'Amérique du Sud qu'il rejoint enfin. Les paysages familiers de son enfance, peuplés de chênes, de hêtres ou de sapins ont fait place à des espaces nouveaux portant des bambous, des hévéas, des fougères arborescentes et des palmiers. Tout le passionne. Jacques n'avait pas fait de longues études, puisqu'il avait quitté l'Institut Agronomique de Paris au cours de la deuxième année, mais sa culture était exceptionnelle. Considérant la qualité moyenne des émigrants qui débarquaient au port tout neuf de Buenos Aires, il fut certainement l'un des hommes les plus instruits et éduqués qui arrivèrent en Argentine à cette époque.

Lorsqu'il débarque enfin à Buenos Aires, Jacques découvre le pays que sa famille et lui avaient choisi avec une remarquable intuition : un pays qui fascinait le monde avec ses immenses étendues de terres souvent vierges, et les colossales richesses agricoles qu'elles produisaient. Le pavillon argentin à l'exposition internationale de Paris en 1900 avait été l'un des plus visités de l'Expo. Selon l'historien Felix Luna, le pays était le plus avancé et le plus dynamique de l'Amérique du Sud : en trente ans, le réseau ferré était devenu l'un des plus étendus du monde, le système d'éducation nationale était admirable, une grande classe moyenne s'était formée, et la stabilité politique et institutionnelle était la plus solide que le pays eût connu dans toute son histoire.

Le pays naviguait alors sur la crête d'une extraordinaire vague de prospérité, avec ses cinq millions d'habitant, ses nouveaux ports, ses chemins de fer qui se construisaient à un rythme effréné, ses immigrants qui arrivaient par vagues de plus d'un million de personnes en une seule année. Peu avant l'arrivée de Jacques, le général Roca avait terminé son deuxième mandat de six années : pendant ses gouvernements, il avait intégré au pays de vastes régions jusque là entre les mains des indiens Pampas et Ranqueles en réalisant la célèbre Campagne du Désert, en signant le traité de 1881 avec le Chili, en repoussant la frontière Nord vers le Paraguay et en libérant les territoires du Chaco et de Formosa des indiens. En même temps, Roca multiplia par dix l'extension des voies ferrées du pays, permettant ainsi à l'immigrant de prendre plus facilement possession des énormes terres nouvelles.

Jules Huret, un journaliste du Figaro qui arrive à Buenos Aires en 1910, écrit plusieurs livres sur l'Argentine ; on y lit par exemple : " Leurs coutumes politiques sont les mêmes que celles des autres pays en développement, et sous certains aspects, elles ressemblent à celles des pays anciens et bien organisés. Le territoire est énorme et fertile, et les engrais n'y sont pas employés. L'on entend souvent des histoires de personnes qui étant arrivées à Buenos Aires sans le sou, en moins de dix ans se retrouvaient millionnaires ".

Pourtant, au milieu de tant de prospérité, l'arrivée de Jacques est assez désastreuse. Les énormes silos en briques rouges du port de Buenos Aires lui semblent sinistres, la ville, qui a pourtant par endroits l'aspect le plus brillant, le déçoit. Elle n'a pas l'âme d'un Paris ni d'un Londres, sauf en ce qui a trait aux magnifiques arbres des parcs - et ceci n'était pas rien pour un Larminat.

Buenos Aires - on est en plein été - le fatigue à cause de l'humidité et de la chaleur ; les rues lui paraissent étroites et mal agencées, des tramways bruyants passent en rasant les passants qui se serrent sur des trottoirs encombrés. On peut penser que le temps écoulé loin des siens, et la responsabilité qu'il avait assumée et qui commençait à se préciser devaient y être pour quelque chose.

Pourtant, l'apport de la colonie française était déjà très important dans la société locale : Carlos Pellegrini, fils d'un ingénieur et peintre français célèbre localement, avait été président de la république, de nombreux architectes français construisaient les plus importants hôtels particuliers des riches familles argentines, l'hôpital Français était l'un des plus modernes, et surtout, M. Carlos Thays, le génial architecte paysagiste dont les descendants continuent aujourd'hui à dessiner des parcs, avait conçu les somptueux parcs de la ville, en choisissant - et là était l'originalité à cette époque - de les peupler d'essences locales qui ont séduit l'atavisme forestier de Jacques : il les examine avec attention et y reviendra toute sa vie. Ils sont aujourd'hui toujours aussi splendides qu'alors, pour le plus grand plaisir des 'porteños'.

Son camarade de voyage, le très sympathique Allais, lui recommande l'hôtel Frascatti, que gérait le français Bousquet.

Jacques commence sans se presser à rendre visite aux familles pour lesquelles il avait des lettres de recommandation : il n'en tire pas grand chose, recevant presque partout un accueil glacial. Il se retrouve le jour de son vingtième anniversaire sur la place de Mayo, seul et un peu déprimé : il en fait une aquarelle. Son ami Henri Becquerel lui expliquera plus tard qu'il n'était pas inhabituel que les bonnes familles françaises envoyassent leurs rejetons les plus difficiles vers le Rio de la Plata : ces derniers s'étaient taillé une solide réputation de rendre grâce de l'hospitalité reçue en repartant bientôt avec la caisse et la fille de la maison. La seule tête de pont qu'il put établir fut auprès de la famille García Mansilla, qui menait grand train et le reçut avec faste.

Quelque temps plus tard, Jacques revient enthousiasmé de son premier contact avec la Cordillère du Neuquèn et s'étonne que personne ne connaisse ces contrées splendides. Il s'entend répondre par M. García Mansilla : " Ecoutez mon ami, nous sommes ravis qu'il y ait des parisiens qui veuillent bien peupler ces régions. Quant à nous, nous préférons Paris ! ". Malheureusement pour Jacques, M. García Mansilla fut tué en duel par son ministre de la Marine, ce qui coupa cette très bonne relation ; Jacques se reprochera par la suite de ne pas avoir continué à fréquenter cette famille, si aimable et francophile de surcroît. Il se souviendra toujours de ses premiers contacts avec les gens qu'il connût à cette époque : il écrira beaucoup plus tard :

Il y avait alors en Argentine un certain nombre de jeunes gens qui venaient chercher une activité plus intéressante que celles qu'ils pouvaient trouver en Europe, et nous nous fréquentions pendant nos séjours à la capitale. Il y en avait de pittoresques comme mon ami Stanley Mallet qui allait de whisky en whisky, confortablement installé seul dans sa voiture, qu'il prenait par périodes de cinq jours, invitant son cocher à boire avec lui. Nous nous croisâmes ensuite avec lui sans le savoir en 1915, sur la plaine d'Assas, lui commandant son escadron de Lanciers Hindous, et moi le 16ème Dragons. Il deviendra chambellan de la petite princesse Elizabeth, plus tard reine d'Angleterre, et reviendra s'installer en Argentine près de Carlos Casares, dans la magnifique estancia (grande ferme) La Corona, qu'il géra très efficacement et où il reçût le prince de Galles, futur duc de Windsor. Nous y passâmes aussi, avec mes amis Reid et Trannack. Il y avait encore Olivier de Malglaive, qui arrivait à l'aube en faisant sonner ses énormes éperons chiliens, grands comme des assiettes, " pour épater l'bourgeois ", disait-il ".

Jacques en avait assez de la chaleur et l'humidité de Buenos Aires. Lorsqu'on lui présente le français Jean Guichard et que celui-ci l'invite à travailler " au pair " chez lui, il saute sur l'occasion. Il s'agissait d'apprendre les travaux de la Pampa dans l'estancia de Los Algarrobos, située à 650 km de Buenos Aires, dans la province de Córdoba. Il part derechef, non sans se munir, suivant la recommandation de son ami Allais, d'un recado (la selle du gaucho) dont il put réaliser l'extrême utilité pendant les longues nuits d'intempéries hivernales : celle-ci servait de lit et de protection contre l'humidité et le froid. Il part à cheval, et les régions dépeuplées qu'il traverse pendant des jours et des jours, sans aucun genre de confort, lui rendent le voyage interminable. Enfin, Jacques arrive à destination, et il décrira plus tard avec de multiples détails sa première expérience de la vie dans une estancia argentine : cette vie qui sera dorénavant la sienne pour toujours ?

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Mesdames et Messieurs de Larminat, qui attendez un heureux événement : consultez la liste des dernier prénoms donnés.